Champagne (vignoble de)

l’un des vignobles les plus célèbres du Monde, dont l’appellation est très strictement défendue par les organisations professionnelles. Il ne se limite pas à la Marne, puisque l’Aisne, l’Aube et la Haute-Marne y participent, mais la Marne en a la plus grande partie (22 000 ha sur 32 000 en production), et les lieux les plus prestigieux.

Le vignoble est ancien, a survécu aux foires de Champagne et sa renommée était déjà grande au 14e s.; mais ce que François Ier et Henri IV étaient réputés apprécier était alors du vin rouge issu de pinot. La tendance naturelle du vin à produire de la mousse au printemps suivant la vendange a d’abord été considérée comme un défaut, avant d’être appréciée et accompagnée; les celliers des abbayes ont contribué au savoir-faire, à Hautvillers et Saint-Thierry surtout; puis la famille Brulart de Sillery contribua à lancer la réputation de la Montagne de Reims au début du 17e s. Toutefois, le vin mousseux, qui venait surtout de vins gris (rosés de pinot à pressage léger), comme à Toul aujourd’hui, n’a commencé à intéresser qu’à la fin du 17e s.; au 18e s., on est passé de plus en plus à ces vins rosés.

C’est alors que des firmes de négoce sont apparues, dont quelques-unes subsistent au moins de nom, comme Ruinart, ou plus tard Ponsardin (dont la famille laissa le nom de veuve Clicquot). Elles étaient souvent issues de l’industrie et surtout du négoce du drap, dont les réseaux marchands ont facilité la diffusion à l’étranger de ces vins curieux et chers. Il fallait d’ailleurs, pour exploiter pleinement les perspectives qu’offrait l’originalité du vin, disposer de bouteilles résistantes: longtemps, la casse a été considérable, et occasionnait de lourdes pertes. En 1785, on ne vendait encore que 300 000 bouteilles de champagne et le vin rouge dominait toujours dans la première moitié du 19e s.

La grande expansion du champagne ne s’est manifestée qu’après 1814; encore le champagne dit brut, le plus «sec», qui l’emporte très largement aujourd’hui, n’est-il vraiment apparu qu’après 1876. Il y fallut, outre le savoir-faire des viticulteurs et des négociants, toute une série d’innovations: la verrerie solide date du passage aux verreries «mécaniques» mues par la machine à vapeur, le remuage date des années 1800, l’adjonction raisonnée de liqueur sucrée et le muselet des années 1830, ces deux derniers venant de Châlonnais, François et Jacquesson.

La «méthode champenoise», en effet, est à la fois naturelle et quelque peu aidée. Le raisin (rouge aux trois quarts, en pinot noir et pinot meunier) est pressé mais non foulé et donne un jus blanc; on assemble en général plusieurs provenances, et l’on ajoute des ferments et une liqueur au sucre, qui favorisent la première fermentation en cuve; le vin est tiré au printemps suivant, mis avec un bouchon provisoire (en plastique) dans des bouteilles renversées sur pupitre, où il est «remué» par quarts de tours de bouteilles durant six semaines, afin de concentrer les dépôts sur le bouchon; après la seconde fermentation, il faut expulser bouchon et dépôt (aujourd’hui en gelant rapidement le col de la bouteille), corriger le dosage de liqueur et boucher définitivement; on garde alors les bouteilles sur latte, mais peu de temps car le champagne ne vieillit guère avantageusement; dans l’ensemble, il est mis sur le marché entre quinze et trente mois.

Les ventes ont été de 6,6 millions de bouteilles en 1844, dont les deux tiers à l’étranger; 11,9 M en 1864, dont trois quarts à l’étranger; les 20 millions par an ont été atteints en 1872 puis la production a oscillé autour de 20 millions jusqu’à la fin du siècle. Certes, le vignoble a été frappé par le phylloxéra de 1875 à 1914, mais il a vite été reconstitué, les ventes annuelles atteignant 39 millions de bouteilles en 1910, avant de commencer à baisser. Reprises après 1945, comptées à 58 millions de bouteilles en 1962, elles entament alors une nouvelle période de très forte expansion, atteignant 100 millions en 1970, 200 millions en 1979, 292 millions en 1998, dont 39% à l’exportation; tous les records ont été battus pour fêter l’avènement des années 2000, avec 327 M vendus en 1999; les expéditions ont atteint 320 millions de bouteilles en 2010, dont 42% à l’exportation; elles baissent depuis: 302 M en 2017, 297 en 2019.

L’aire délimitée est de 33 787 ha dont 23 900 (71%) dans la Marne, 7 200 (21%) dans l’Aube et la Haute-Marne, 2 600 (8%) dans l’Aisne et la Seine-et-Marne et englobe 319 communes, où s’activent 16 200 exploitants, 4 800 récoltants expéditeurs, 66 coopératives et 360 négociants. Seuls trois cépages sont retenus: deux de raisins rouges, le pinot noir (38%) et le pinot meunier (31%); un seul de raisins blancs, et minoritaire, le chardonnay (31%), en progrès. Le niveau de récolte a été de 231 millions de cols en 2020 (315 M en 2010), le stock dépassant largement le milliard de bouteilles (1 469 millions en août 2020). Le chiffre d’affaires a dépassé naguère les 5 milliards d’euros puis a baissé (4,2 milliards en 2020, dont 2,6 à l’exportation, soit 62%). Les principaux importateurs sont le Royaume-Uni (21,2 millions de cols) et les États-Unis (20,8) suivis par le Japon (10,8), l’Allemagne (10,1), la Belgique (9), l’Australie (8,5), l’Italie (6,9), la Suisse (4,8).

Quatre régions principales divisent le vignoble, chacune d’entre elles comportant plusieurs «terroirs» (17 en tout): Montagne de Reims (au sens large) au nord, avec 101 communes, 3 700 exploitations, 8 000 ha, quatre terroirs, et un relatif équilibre entre les trois cépages; Vallée de la Marne (y compris dans le département de l’Aisne), avec 100 communes, 5 500 exploitants, 11 600 ha, six terroirs et une dominante de pinot meunier; Côte des Blancs et environs, dans 55 communes, 3 700 exploitations, 5 800 ha, 5 terroirs et une forte dominante de chardonnay; Côte des Bars dans l’Aube et une fraction de la Haute-Marne, avec 63 communes, 2 200 exploitants et 6 800 ha, deux terroirs, presque tout en pinot noir. Les quelques communes de la Côte de Champagne au nord de Vitry-le-François (terroir dit Vitryat) sont incluses dans la troisième région.

La première législation d’appellation d’origine contrôlée (AOC) date de 1911; elle a été révisée en 1927 et 1935, puis une nouvelle révision a été engagée et 2008. Auparavant, vignerons et négociants avaient formé en 1879 un groupement de vigilance (contre le phylloxéra), puis une Association viticole champenoise (1898). Les firmes Mumm et Heidsieck, de Reims, ont œuvré dès 1882 à définir une appellation, constituant un Syndicat du commerce des vins de Champagne, transformé ensuite en Syndicat des grandes marques de champagne, devenu Union des maisons de champagne en 1989. De leur côté, les vignerons avaient créé en 1904 une fédération syndicale, transformée en 1919 en Syndicat général des vignerons champenois, qui dit grouper 99% des 15 000 vignerons champenois (les mêmes sources donnent aussi le nombre de 19 000), et de nombreuses coopératives, 135 en tout, dont 41 ont leur propre marque; certaines se sont groupées en de puissantes unions qui se sont hissées au niveau des grandes maisons. Après quelques affrontements, vignerons et firmes ont pu coopérer et ont fondé des institutions interprofessionnelles, dont la principale est le CIVC (Comité interprofessionnel des vins de champagne), organisé en 1941.

Aujourd’hui, environ 15 000 vignerons «récoltants» possèdent 90% du vignoble — le reste appartient aux firmes de négoce; ils vendent 10% de la production finale au nom des coopératives, 20% en leur nom propre (ce sont les «manipulants», ou «récoltants expéditeurs», un peu moins de 5 000, qui assurent la vinification), et le reste (directement et surtout par l’intermédiaire des coopératives) aux négociants. L’interprofession fixe le jour de la vendange, la réglementation des travaux, et veille jalousement à la défense du mot «champagne» devant tous les tribunaux du monde. Des contrats d’engagement lient ordinairement les récoltants aux négociants et les prix du raisin sont fixés pour tous chaque année, modulés selon une «échelle des crus» qui va de 75 à 100 %. Le prix du raisin est élevé, de l’ordre de 6 à 7 euros par kilogramme, et une famille de vignerons vit très correctement avec 1,5 ha. Les rendements admis, supérieurs à 100 quintaux/ha depuis les années 1960, ont atteint 155 quintaux/ha en 2008… ce qui représenterait donc autour de 80 000 euros par hectare.

Les négociants assurent sous leur nom, ou au nom des marques qu’ils détiennent, environ 70% des ventes, dont 90% des exportations; leur Union groupe une centaine de firmes, mais de tailles très inégales: certaines n’ont que quelques employés, la plus grande en a plus de mille. Encore ces grandes maisons sont-elles souvent associées au sein de grands groupes financiers, et objet de séries d’échanges et prises de pouvoir. Les quatre premiers groupes assurent les deux tiers du chiffre d’affaires des négociants. Le plus puissant, Moët-Hennessy (du groupe de luxe LVMH), fondé à partir d’Épernay mais qui a intégré quelques maisons rémoises de grand prestige, réunit ainsi Moët et Chandon, Mercier, Ruinart, Krug, Veuve Clicquot dans l’ensemble MHCS, au total 1 300 M€, 2 300 sal., 1 600 ha). Le groupe Lanson-BCC (176 M€), propriété des familles Burtin et Mora, est parti de la firme de Marne & Champagne à Épernay, qui a acquis Besserat de Bellefond, Massé, etc., puis acheté Lanson à LVMH et y ajoute Boizel, Chanoine, De Venoge etc. À un niveau comparable est le groupe Laurent-Perrier (173 M€), constitué également par achats successifs à partir d’une famille de Tours-sur-Marne, ajoutant les anciennes maisons de Castellane, dont le beffroi domine fièrement la gare d’Épernay, ainsi que Salon et Delamotte. En quatrième position s’est hissé le groupe Vranken (170 M€, 800 sal., 280 ha), fondé assez récemment par le Belge Paul-François Vranken, qui a appliqué une politique patiente et résolue d’acquisitions en commençant en 1976 par Veuve Monnier, puis Heidsieck-Monopole (1996) et Pommery (2002), Charles Lafitte, Bissinger en y ajoutant des maisons de porto et les vins languedociens Listel. Mumm (90 M€, 230 sal., 220 ha) et Perrier-Jouët (80 M€, 65 ha, 65 sal.) appartiennent ensemble à la maison de spiritueurs Ricard et se classent au même niveau, ainsi que le groupe Roëderer-Deutz (200 M€, 275 sal., 300 ha).

Mais la première des coopératives, le CVC de Chouilly, connue par sa marque Nicolas Feuillatte (5 500 vignerons, 2 250 ha, 20 millions de cols par an et 100 M en capacité de stockage), s’est hissée au niveau de ces grands groupes (en 3e position par le nombre de cols) devant des firmes et marques de moindre taille comme Taittinger (110 M€, 200 sal., 300 ha), Bollinger-Ayala (95 M, 140 sal., 180 ha), Piper-Heidsieck et Charles Heidsieck (au groupe de spititueux Rémy-Cointreau avec Gosset, au total 80 M€), Gueusquin (65M€), Billecart-Salmon (58 M€), Thiénot-Canard-Duchêne (54 M€), Pol-Roger (40M€) etc. La coopérative rémoise Alliance-Champagne (85 M€, 1 800 vignerons, 2 600 ha) vend sous sa marque Jacquard et associe la coopérative Pannier de Château-Thierry. Union Champagne à Avize (1 200 membres, 2 100 ha) vend 10 M de cols/an (marque Saint-Gall); la coopérative l’Union Auboise de Bar-sur-Seine, qui groupe 800 viticulteurs cultivant 1 400 ha, dispose de la marque Veuve Devaux. Il en existe bien d’autres; les coopérateurs groupent environ la moitié des surfaces en vignes.

Les principales maisons sont à Reims et à Épernay; l’organisation interprofessionnelle est centrée à Épernay. Longtemps les maisons de champagne rémoises ont cultivé une réputation de qualité et un vague sentiment de supériorité, mais c’est à Épernay que sont les dynamiques conquérantes: la plupart des maisons rémoises ont été absorbées une à une, comme le montrent les concentrations opérées à partir d’Épernay et de ses environs sous les noms de Moët et Chandon, Vranken, Lanson ou Laurent-Perrier. Toutefois, les 20 dernières années ont vu apparaître à partir de Reims des groupes nouveaux en expansion, comme ceux d’André Thiénot et de Bruno Paillard (aussi président de Lanson-BCC).

Le vignoble s’étend surtout sur la côte d’Île-de-France, depuis le massif de Saint-Thierry au nord de la Vesle jusqu’au-dessus de la vallée de la Seine, au sud de Sézanne; le centre en est le pourtour de la montagne de Reims et la côte des Blancs d’Épernay à Vertus; mais le vignoble s’étend aussi de part et d’autre de la vallée de la Marne jusqu’au-delà de Château-Thierry dans l’Aisne, sur les versants du Tardenois (bassin de l’Ardre) et de la Brie (vallées du Surmelin et du Petit Morin). Quelques vignes se trouvent encore sur des buttes à l’est de Reims (région dite de Trépail-Nogent), et au nord de Vitry-le-François dans les reliefs de la côte de Champagne (Vitry-en-Perthois et Bassuet). Enfin, il orne la côte des Bars, de Colombey-les-Deux-Églises jusqu’au-delà des Riceys dans l’Aube.