Vocabulaire et toponymes en Normandie
Certains toponymes de Normandie viennent de mots importés de Scandinavie par les Vikings (norrois); on y reconnaît quelques racines indo-européennes conservées aussi par l'allemand, le suédois ou l'anglais, mais arrangées d'autres façons. D'autres viennent plutôt de bases celtes, langue d'ailleurs apparentée. Plusieurs d'entre eux, comme bec, bœuf, crique, fleur ou vic, donneraient lieu à de joyeux contresens si on les prenait «à la française», c'est-à-dire si on leur supposait une origine française issue du latin. D'autres mots encore ont un sens local, parfois partagé avec des régions voisines, et ne doivent rien aux Vikings. Bec, racine normande pour rivière (cf. l'allemand bach), sans rapport avec un cap ou un promontoire (v. Hogue, Homme, Nes) Beuf, bœuf, racine normande désignant une habitation plus ou moins provisoire, une cabane à l'origine d'un peuplement, à rapprocher de bo en scandinave; l'origine est budh, qui évoquait à la fois habiter et être (cf. to be en anglais), un lien qui a entraîné Heidegger à maints commentaires sur l'être... là. La forme locale est parfois bus (Bourguébus) Boël, village-rue très étiré en pays de Caux Bondon, fromage cylindrique à pâte molle (pays de Bray) Bré, ou bray, racine désignant un marais (comme à Bréhal), des terrains humides et lourds; cf. le pays de Bray; Debré ou Debray = Desmarais; la racine est à rapprocher de borvo, borb, comme dans bourbe et Bourbon. Bricque, désigne une forte colline, vient du scandinave brekka Caude, désignation évoquant en Normandie quelque chose de froid (racine kalt); d'origine latine, elle aurait évoqué le chaud... Caudebec = rivière froide Chouer, maraîcher en Cotentin Cote, hameau, petit habitat collectif; même mot que coterie, employé jadis pour désigner une petite communauté rurale, ou que cottage en anglais; on le retrouve en flamand (Zuydcoote) Côte, terme assez général pour désigner un versant assez raide, un coteau Crique, l'un des termes les plus controversés: il peut désigner une crique, dont l'étymologie est liée au scandinave krikki; mais il est parfois apparu comme une déformation pour église, par altération de kirke, donc sans rapport avec une crique; on le trouve alors aussi sous la forme carque (Carqueville); parfois aussi on a pu supposer un patronyme Criach sans rapport avec une crique ni une église la plupart des noms en Crique-, et d'ailleurs plus souvent écrits Cricque-, ne sont pas sur le littoral. Dal, racine pour vallon, vallée (thal en allemand) Delle, quartier de parcelles labourées et en lanières, surtout dans le bocage Ecque, v. Ycque Fleur, désigne une crique, une petite baie, un abri côtier (flo en scandinave, fjord a la même origine); Barfleur serait une baie en coin, Honfleur la baie de M. Hun (ou du haut, ou même du chien; nul ne sait...) Gabion, cabane pour la chasse aux oiseaux, équivalent du hutteau picard Hague, taillis, friche arbustive (germanique hacken); désigne aussi en Normandie le fruit rouge de l'aubépine (cenelle ou gratte-cul); ne pas confondre avec hogue Havre, abri côtier, de même racine que le port en langues germaniques (hafen, haven) Hoc, promontoire (scandinave), comme hougue et probablement Hève Homme, hauteur, butte et aussi île; même mot que holm (Stockholm), hom en celte; d'où la forme un peu surprenante Le Homme (Orne); il se trouve aussi sous la forme houlme Hou, îlot (dérivé de holm) Hougue, hauteur, tertre (du scandinave haug, germanique hoch); parfois hogue; v. aussi hoc Hus, racine pour une maison Lon, ou londe, racine associée à l'idée de bois (lund, lundr en scandinave), et non pas de lande Man ou manne, grand ou grande: Manneville, le grand domaine; la Manne Porte, à Étretat Mare, étang, plan d'eau; assez fréquent dans les noms de lieux; Fongueusemare: l'étang boueux (fangeux) Mascaret, vague déferlante remontant le cours de la Seine à la faveur du flot de marée; le mascaret a presque disparu depuis les grands travaux d'aménagement de l'estuaire Masure, ferme caractéristique du pays de Caux, composée de plusieurs bâtiments épars dans une enceinte de pré complanté et entouré de haies; nombre de villages y sont faits de la juxtaposition de masures, parfois sur de longs alignements (v. Boël), parfois en forme de nébuleuse. Mesnil, maison paysanne ou hameau; le mot est d'origine latine (mansion), comme la maison Mielle, couloir entre dunes en Cotentin, offrant des terroirs humides et abrités favorables aux cultures maraîchères; mais le mot désigne aussi à l'origine une dune (norrois mjelr) Nes ou nez, cap Or ou oure, éboulis rocheux, du scandinave uro, comme dans Orbec Quille, racine pour une source (scandinave kilde); Quillebeuf: la cabane de la source Sap, sapin, peuplement de résineux (souvent relicte de l'époque glaciaire) Thuit, essart, synonyme d'artigue ou ardenne en d'autres lieux; assez fréquent dans les noms de lieux mais à ne pas confondre avec tot Tot, évoque une habitation, une masure, une ferme, et plus généralement a le sens de «chez», le lieu où habite quelqu'un Tourp ou torp, ferme isolée, hameau de clairière; s'est parfois déformé en trou... Valleuse, vallon perché débouchant dans la partie supérieure d'une falaise; elle correspond à ce qui reste d'une ancienne petite vallée tronquée par le recul de la falaise Vast, lieu inculte, friche; même sens et origine que gâtine Vey, marais; et passage dans les marais; mot réputé de même origine que le gué et apparenté au néerlandais wadden qui désigne des vasières; l'idée originelle est celle d'«aller», là où l'on peut aller Vic, désigne en général une baie, une anse, une crique, en un sens complètement différent du (-vic) issu de vicus (village) en latin; le cap Lévy à l'est de Cherbourg serait une déformation de ce vic Ville, vient du mot latin villa et désigne non pas une ville mais un simple domaine à l'origine; très fréquent comme suffixe de noms de lieux en Normandie Ycque, ou ecque, forme désignant le hêtre, une hêtraie, à partir de la racine ek |